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PEINE PENALE ET INDIVIDUALISATION

30 09

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PENAL INDIVIDUALISATION SANCTION

L’entretien de la garde des sceaux dans Le Monde du 20 septembre redonne espoir en une justice individualisée prenant en compte à la fois les victimes et les auteurs de délits ou de crimes. Avant de considérer cette nouvelle doctrine, il est bon de camper le décor et de rappeler quelques faits.

La justice pénale, on le sait, est un système de flux, dont l’unité de mesure se matérialise par des procès-verbaux qui comptabilisent des infractions dans une échelle de valeurs incluant les crimes, les délits, et contraventions, leurs modes de traitement est très variable. La majorité des affaires pénales – 70% – ne débouche sur aucun procès. Ce qui fait dire au magistrat Jean-Paul Jean que «les citoyens ne perçoivent généralement que la seule partie émergée et médiatisée d’un système judiciaire complexe, à travers la figure emblématique du juge d’instruction et les procès en cours d’assises».

Ils ne perçoivent généralement – et nous aussi – que la partie la plus visible de la justice. Si l’affaire d’Outreau au début des années 2000 a pu fasciner, «c’est d’abord par sa dimension de fait sociopolitique total» soulignent les magistrats Antoine Garapon et Denis Salas. Tout y est. De l’ombre portée de la pédophilie sur nos sociétés apeurées jusqu’aux ratés d’une justice inquisitoriale ayant conduit le juge Burgaud à commettre des erreurs irréparables en abusant de la détention provisoire. Mais cette affaire a aussi révélé les limites d’une justice soumise à une transparence publique excessive pouvant porter atteinte au secret du délibéré, et déboucher sur une forme de panique morale incontrôlable ! 

Cette affaire n’a fait qu’amplifier la frénésie législative contemporaine en matière pénale. C’est ainsi que de 2002 à 2007, quarante lois ont modifié le code de procédure pénale. Et trente, le code pénal. Ce n’était qu’un début. Le système pénal a connu par la suite des bouleversements d’envergure. Réforme de la procédure pénale; nouvelles propositions pour adapter la justice pénale des mineurs; loi de rétention de sûreté; suppression du juge d’instruction; toutes ces réformes ont focalisé l’attention des médias.

Au-delà des effets d’annonce, elles ont mis en place un nouvel utilitarisme pénal*, qui s’est effectué au nom de l’efficacité et du rendement, et a pu menacer les libertés publiques. «Pénalisation accrue, réponses pénales systématiques, procédures accélérées, aggravation des sanctions, peines planchers pour les récidivistes, mesures de sûreté au nom de la dangerosité dessinent les contours d’une justice pénale qui, déjà en difficulté structurelle, peut se perdre en voulant être partout» écrivait alors Jean-Paul Jean.

Cette inquiétude fut partagée par nombre de magistrats, avocats, juristes, toute famille politique confondue. La justice pénale était désormais considérée par nombre d’entre eux comme une justice néolibérale. Denis Salas parlait alors de libéralisme autoritaire sur fond de «crise généralisée de la modération pénale». Et le bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Paris, Christian Charrière-Bournazel, d’une situation qui transformerait le parquet en vérité de police aux dépens de la vérité du tribunal. «Le préjugé de culpabilité est tel aujourd’hui, que dès que le prévenu arrive dans un tribunal, celui-ci en vient à ratifier l’œuvre de police» disait-il.

 Le néolibéralisme en matière de justice est une affaire assez compliquée, il est inutile ici de développer ce point. Rappelons seulement qu’il serait une importation des méthodes de la justice américaine dans notre droit moderne. 

L’exemple le plus probant de cette mise en œuvre en France est celui des peines planchers, dont l’application est réservée aux récidivistes. Ce qui pose problème à leur sujet n’est pas la peine en soi – elle pourrait être une peine d’utilité publique – mais la manière dont elle est prononcée : de façon quasi-automatique.

 Une récidive de vol entraîne un an d’emprisonnement, une récidive d’escroquerie, deux ans. Ainsi de suite. La peine ne requiert aucune confrontation entre le prévenu et la justice, elle est une peine minimum de prison, quelque que soit l’attendu de la procédure entamée. «L’individu disparaît derrière son acte ou la répétition de son acte. C’est un homme abstrait que l’on juge» souligne le juge Serge Portelli. L’enfermement automatique, que l’on vole un œuf, ou un bœuf, en cas de récidive, fait ainsi disparaître l’acte de juger. «Il n’y a plus de proportion», ajoute Portelli. Comme si la prison devenait une facilité et la justice une machine à enregistrer les délits, ne cherchant plus à corriger un individu, mais seulement à endiguer un fléau. 

 Cette tendance à automatiser les peines, se conjuguait alors avec la volonté de dire la justice en temps réel, qui accélère la répression. «S’il est une mutation fondamentale de la justice pénale ces vingt dernières années, c’est un nouveau rapport au temps. Les parquets, avant même l’intervention du législateur, avaient déjà adapté leurs pratiques et inventé dès le XIX siècle la procédure de flagrant délit. Les « flags », devenus depuis les comparutions immédiates, sont devenus le symbole de cette justice d’urgence pour la délinquance quotidienne. Les années 1990 ont vu émerger dans les parquets de Pontoise, Bobigny et Lyon des pratiques de traitement en temps réel (TTR) des procédures», rappelait encore Jean-Paul Jean.

 Ce rappel établi. Il nous est possible de voir ce qui change avec Christiane Taubira. «C’est un tournant par le choix politique (mettre au premier plan l’individualisation de la peine), la méthode (la conférence de consensus) et la nouvelle architecture des relations justice/exécutif. Une justice pleinement indépendante dans le traitement des affaires individuelles et un pouvoir politique replacé comme acteur de la politique publique», souligne avec enthousiasme le même Denis Salas aujourd’hui.

 Madame Taubira rompt ainsi avec «l’ancienne approche verticale (le ministre aux ordres de l’Elysée et chef des parquets), elle substitue à cette verticalité une approche professionnelle et rompt ainsi avec « le mépris des juges comme corps intermédiaires» qui caractérisait l’ancien pouvoir, ajoute-t-il. 

 C’est pour le coup un vrai changement. La ministre place en tête de sa politique pénale : l’individualisation de la peine et l’exigence d’une décision informée. Car la réponse pénale doit être, dit-elle, «ni précipitée ni lente», ce qui rappelle à Denis Salas un mot de Benjamin Constant sur «les lenteurs superflues et les précipitations inutiles» de la justice. Nous y voilà.  

Et si c’était cela, aussi, la liberté des modernes : nulle lenteur inutile et précipitation superflue ! Le tout associé à une véritable doctrine de prévention de la récidive. Il apparaît alors clairement que la circulaire de Madame Taubira «prépare le terrain à une grande réforme législative et constitutionnelle», selon Denis Salas. Une réforme qui ne pourra laisser indifférent le Ministre de l’intérieur et tous les citoyens concernés. A suivre, donc.