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Elle retient ses larmes, il essaie de se tenir. Divorcés depuis sept ans, ils n'ont pas un regard l'un pour l'autre, dans la salle bleue du tribunal de Tarascon. Pourtant, les apparences d'un «bon» divorce sont sauves. Ils se partagent leurs filles en résidence alternée, une semaine l'un, une semaine l'autre.
Mais voilà, ils veulent tous les deux inscrire les enfants dans le collège de leurs villes respectives, distantes de 25 km. Les avocats sont venus avec des plans, des photos, des trémolos, des piles d'arguments.
Exaspéré, Marc Juston, le juge aux affaires familiales (JAF), finit par exploser : «Au bout de sept ans, on ne demande pas à un juge de décider où les enfants doivent aller à l'école ! Tous vos arguments à tous les deux sont valables et vous pensez que je peux trancher ? Oui, je peux trancher, mais ce sera une mauvaise décision.» Une loterie, précise- t-il.
Sonnés, l'homme et la femme écoutent le juge tonner : «Allez en médiation, apprenez à vous respecter, et si vous ne trouvez pas une solution, la meilleure possible pour vos filles, revenez me voir en juin !»
Fulminant qu'il n'est pas Dieu, Marc Juston ajoute qu'une résidence alternée ne peut fonctionner sans un minimum de communication entre les parents et qu'ils la doivent à leurs enfants. «Sinon, ce sont elles qui prendront le pouvoir !»
Un mois plus tôt, il tonnait déjà à la tribune du colloque organisé par l'association CFPE-Enfants disparus sur les enlèvements parentaux : «La souffrance des enfants est un fléau national ! Il n'y a pas de prise de conscience de la gravité des dégâts commis par les adultes sur les enfants. Le système judiciaire n'est pas protecteur des enfants, il est protecteur de l'égoïsme des parents.»
Or, disent la plupart des acteurs du droit familial, les parents se font la guerre. Pas tous. Mais, dans 15 à 20 % des cas, ils y vont au canon. Au risque d'y perdre toute dignité et de détruire leurs enfants.
Car c'est leur grand combat : «partager» leurs enfants, comme ils partagent leurs biens, en bataillant pour avoir la meilleure part et en priver l'autre. Au nom de l'amour. Au nom du bien de l'enfant. Au nom de l'égalité entre les sexes. Et voilà comment on en arrive à grimper sur une grue.
Une épidémie, les grues. Une façon d'alerter les médias, en campant les victimes. L'altitude aidant, on les plaint, aussi haut que leur chagrin. Quand ils redescendent, la haine du père militant jaillit.
«J'ai fait le boulot», dit Serge Charnay - après quatre jours de grue à Nantes mi-février - avant d'incendier «ces bonnes femmes qui nous gouvernent».
Et l'on découvre qu'il a été condamné pour «soustraction d'enfant», et ainsi privé de son droit de visite et d'hébergement.
Le même week-end, trois autres pères avaient, plus brièvement, escaladé grues ou immeubles pour demander à voir leurs enfants, à Nantes, Strasbourg et Saintes. Le 20 février, un militant de SOS Papa est monté sur l'aqueduc des Arceaux à Montpellier.
Le 8 mars, deux autres pères perchés ont frappé, à Evry et au centre Pompidou. Le lendemain, une grand-mère de 70 ans, April Reiss, les a imités à Privas. Le 21 mars, Serge Charnay a remis ça à Nantes.
Inspirées, semble-t-il, des méthodes spectaculaires des masculinistes de Fathers-4-Justice, dont les militants ont escaladé un pont à Montréal, balancé des préservatifs remplis de farine mauve à la tête de Tony Blair à la Chambre des communes, envahi le balcon du Foreign Office et accroché la banderole «In Name Of Father» au sommet de la cathédrale Saint-Paul, ces actions préparent l'opinion au soutien d'une proposition de loi déposée le 24 octobre dernier par des députés de droite.
Par ce texte, les militants de la cause paternelle espèrent voir le principe de la résidence alternée, dont ils se disent exclus, devenir la norme à laquelle on ne pourrait déroger qu'en plaidant.
A noter que deux autres députés UMP avaient déposé en décembre 2011 une proposition de loi hostile, elle, à la résidence alternée.
Aujourd'hui, dans les divorces pour faute, les moins nombreux, la résidence principale des enfants est confiée à la mère dans 84 % des cas, au père dans 11 % des cas, et aux deux en alternance dans 4,4 % des cas.
Dans les divorces par consentement mutuel, 71,8 % des enfants vont en résidence principale chez la mère, 6,5 % chez le père, et 21,5 % sont en alternance. Ringarde, cette justice qui bafoue le principe d'égalité des sexes alors que les emplois dans le couple s'uniformisent ?
«On fait toujours de nous, les juges, des imbéciles qui donnent l'enfant à la mère, explique Nicole Choubrac, ex-patronne des affaires familiales à Nanterre et vice-présidente honoraire du tribunal de grande instance à Paris. Mais c'est oublier qu'aujourd'hui 54 % des divorces se prononcent par consentement mutuel. Donc, si les enfants vont chez la mère, c'est que les pères sont d'accord. Ils ne revendiquent pas tous, loin de là, la garde de leurs enfants. En revanche, ils revendiquent de les voir plus souvent.»
Certes les pratiques judiciaires évoluent moins vite que l'idée qu'on se fait des mœurs. Après la libéralisation du divorce, les juges ont plutôt systématiquement confié les enfants aux mères.
Mais, dans la vraie vie, elles se tapaient tout le boulot à la maison et ce n'est pas fini. Le juge Juston l'admet : «Les 30 % de pères divorcés qui s'occupent vraiment de leurs enfants paient pour la majorité de ceux qui s'en désintéressent. Ils doivent, plus que les mères, démontrer leur capacité parentale.»
Depuis 2002, ils ont néanmoins des outils : la loi leur donne les mêmes droits qu'aux femmes en soutenant le principe de résidence alternée et en instaurant la coparentalité, c'est-à-dire l'exercice conjoint de l'autorité parentale. Strictement égalitaires, les textes leur donnent aussi les mêmes devoirs, on en parle moins.
Les associations de pères en colère, de SOS Papa à Les papas = les mamans, rétorquent que la loi est mal appliquée. Le droit de visite et d'hébergement n'est pas toujours respecté : 27 000 plaintes pour «non-représentation» et 150 000 mains courantes par an, alors que 145 000 ruptures de couples avec enfants étaient recensées en 2011 par l'Ined, soit.
«Certains conjoints sont si pointilleux, si rigides qu'ils vont à la gendarmerie dès que l'autre a un quart d'heure de retard», soupire un juge. La vérité, c'est qu'une séparation est souvent une histoire de nerfs et d'humeurs, de passions et de douleur. Et que tout est prétexte pour se déchirer : l'enfant surtout.
On a beau se répéter qu'il vaut mieux un divorce réussi que des parents querelleurs à la maison, le divorce est une épreuve.
«Les enfants dégustent, confirme Me Béatrice Weiss-Gout, avocate spécialiste de la famille. Moins qu'autrefois, car le divorce s'est banalisé : ils ne sont plus stigmatisés, mais ils souffrent de voir leurs parents souffrir, dans une société où l'on n'accepte pas de souffrir.»
Une souffrance de masse, étant donné l'inflation des ruptures conjugales : 250 000 enfants chaque année essuient la séparation de leurs géniteurs.
Rien de tragique en soi, sauf quand la guéguerre se poursuit pendant des années après la rupture, et que l'enfant en reste l'enjeu.
Autrefois, les enfants constituaient un butin de guerre qu'on retirait au parent en tort pour le donner au conjoint lésé. Aujourd'hui, le droit place «l'intérêt supérieur de l'enfant» au-dessus de celui de chacun des parents désormais priés de s'entendre pour cogérer leur progéniture.
Une coresponsabilité que beaucoup ont tendance à traduire, quand ils se quittent, par un partage égalitaire - la moitié pour toi, la moitié pour moi - comme s'il s'agissait d'un canapé. L'intérêt de l'enfant a bon dos.
C'est toujours en son nom qu'on s'étripe. C'est en s'arrimant à la Convention internationale des droits de l'enfant que les associations de pères en colère fourbissent leurs armes : «Un enfant a droit à ses deux parents.» Et c'est au nom de «Benoît, deux ans sans papa», que Serge Charnay fait ses shows perchés, de quoi prouver qu'il n'a pas le vertige mais pas forcément les dispositions parentales exigées par les juges.
Car la justice familiale hait le conflit. Au nom de l'intérêt de l'enfant, justement, les ex sont sommés d'accorder leurs violons parentaux, quitte à passer par une médiation.
Le divorce apaisé, ça marche. Mais ça dérape aussi. On se met d'accord sur une résidence alternée. Un an plus tard, l'un des parents déménage, les engueulades repartent. On s'entend sur une pension pour les enfants. Mais l'écart entre les ex se creuse, et ça grince. On s'est quittés parce qu'on n'était pas d'accord sur l'éducation des enfants. Une fois séparés, plus besoin de compromis, chacun fait ce qu'il veut, et ça explose.
«Le juge considère qu'il ne doit pas donner raison à l'un ou à l'autre, fait remarquer Me Weiss-Gout. Mais c'est quoi, la justice ? C'est donner raison à l'un ou à l'autre. Quand les parents ne s'entendent pas, quand ils sont irresponsables, il faut que le juge tranche.» Surtout quand l'esprit de vengeance vient saper la raison. «Un jour, un père est venu me demander un délai jusqu'à septembre pour organiser son déménagement, raconte un magistrat. Je le lui ai donné. A la rentrée, il a tué son fils de 7 ans. Il n'avait rien trouvé de plus efficace pour faire mal à son ex, a-t-il avoué.»
A 60 ans, Patrice (1) a encore les larmes aux yeux quand il évoque la guerre qu'ont menée ses parents sur son dos et celui de son frère et de sa sœur.
Son histoire, voilà un demi-siècle, a fait la une des journaux.
Quand sa mère a quitté son père pour aller s'installer à l'autre bout de la France, les enfants ont été confiés à cet universitaire un peu autoritaire mais aimant. «Nous avons été très heureux avec lui jusqu'à ce qu'il se remarie.»
Le père demande qu'ils appellent sa nouvelle femme «maman», ça ne passe pas.
Elle a déjà deux enfants, tombe enceinte. «Elle était attentive à nous, mais sa famille, cette fausse famille qu'on nous imposait, nous traitait comme des pièces rapportées.» Quand, un été, six ans après la séparation, leur vraie mère promet aux enfants de venir les chercher, c'est l'enthousiasme. Les deux garçons sont enlevés à la sortie de la messe. «On a vécu une aventure à la James Bond, jusqu'à ce qu'on soit cueillis par la PJ.»
Les enfants retournent dans la ville de leur père, mais en pension. A la maison, le week-end, l'atmosphère est électrique. «A 16 ans, j'ai dit à mon père qu'on retournait chez notre mère, on s'est même battus. Si j'étais resté, j'aurais fini en prison, je m'étais mis à voler.» Leur père a fini par les laisser partir, convaincu que ses enfants avaient subi un lavage de cerveau. Ils ne sont jamais revenus le voir, sauf Patrice, un temps.
En 2012, 439 mineurs ont été inscrits au fichier des personnes recherchées à la suite d'un enlèvement parental, soit une augmentation de 14 % par rapport à 2011. L'association CFPE-Enfants disparus, qui gère le 116 000, a enregistré des appels pour 86 rapts parentaux vers l'étranger, 77 à l'intérieur de la France, 41 vers une destination inconnue. Généralement, on les retrouve vite, cela se règle en correctionnelle.
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