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Même si elle n’a pas neutralisé l’ensemble des mécanismes de répression du harcèlement sexuel existant en droit français , l’abrogation du texte d’incrimination du harcèlement sexuel – l’article 222-33 du code pénal – par le Conseil constitutionnel (Cons. Constit. 4 mai 2012, n° 2012-240 QPC) a privé les victimes d’une importante voie de droit, pour ne pas dire de la voie royale de recours dont elles bénéficiaient.
A l’heure où le législateur, à la suite du gouvernement, s’est emparé de la question d’une redéfinition de cette incrimination, il n’est certainement pas inutile de revenir sur les acceptions européennes de la notion de harcèlement sexuel.
Des législations très récentes
Le premier constat est qu'il n'existe pas, en Europe, de traditions en matière de lutte contre le harcèlement sexuel. Et, dans chaque pays européen, ladite notion a été insérée très récemment. Dans de nombreux Etats, ce n'est que dans les années 1990 – à cette époque déjà, sous les encouragements du droit communautaire – que le droit du harcèlement sexuel s'est développé .
Puis les institutions communautaires ont finalement pris le parti, en adoptant les directives 2000/78/CE du 27 novembre 2000, 2002/73/CE du 17 novembre 2002, puis 2006/54/CE du 5 juillet 2006, de ne pas seulement encourager le développement d'une protection contre les agissements de harcèlement sexuel, mais de contraindre les Etats à l'adoption de tels dispositifs. Ces directives ont ainsi permis un approfondissement des garanties offertes aux victimes de harcèlement sexuel au sein des Etats membres, et ont concouru à un rapprochement des législations - même si, à certains égards, le résultat n'est pas tout à fait à la hauteur des attentes.
Aujourd'hui, des différences très notables peuvent être observées dans les législations, et ce concernant chaque élément constitutif du harcèlement : l’élément matériel, l’élément relatif aux effets du harcèlement et enfin l’élément intentionnel.
Absence d’unité s’agissant de l’élément matériel du harcèlement sexuel
A la question centrale de savoir quels sont les agissements caractérisant l'existence d'un harcèlement sexuel, les droits européens n'apportent pas de réponses identiques.
Plusieurs Etats, comme le Danemark ou la France ont choisi de reprendre, très fidèlement, l'acception suivant laquelle le harcèlement sexuel se caractérise par "un ou plusieurs agissements physique, verbal ou non verbal".
Certains Etats retiennent une définition plus large – et parfois plus vague – que celle-ci. Ainsi, en Suède, l'élément matériel du harcèlement sexuel peut être trouvé dans "tout comportement de nature sexuelle". En Allemagne, la loi générale sur l'égalité de traitement du 14 août 2006 fait, de la même manière, référence à tout "agissement sexuel" et aux "incitations à ceux-ci, (aux) attouchements corporels à caractère sexuel, (aux) remarques à contenu sexuel de même que le fait de montrer contrairement à tout souhait et d'exposer de manière visible des représentations pornographiques". Même si elle ne fait pas partie de l'Union européenne, on peut ici évoquer l'exemple de la Suisse qui admet une définition tout aussi large. Dans ce pays, deux lois, qui s'inspirent de l'acception retenue aux Etats-Unis, font des agissements de harcèlement sexuel "tout comportement importun de nature sexuel" et évoquent une liste non exhaustive de comportements pouvant revêtir cette qualification : des menaces, le fait de promettre des avantages, imposer des contraintes, exercer des pressions sur une personne.
D'autres Etats ont, à l’inverse, une définition plus restrictive et, a priori, moins protectrice que celle admise par la directive communautaire. C'est ainsi que les législations applicables au Royaume-Uni ou en Espagne ont exclu que le comportement non verbal puisse être un élément du harcèlement sexuel.
Evoquer les contours de cet élément matériel du harcèlement, c'est aussi prendre en compte le contexte des agissements. Sur ce point, dans de nombreux Etats européens, le harcèlement sexuel n'est réprimé que dans l'hypothèse où il s'insère dans un contexte professionnel.
En Espagne, le Code pénal précise que ces agissements doivent être survenus dans le cadre d’une relation de travail, d’enseignement ou de prestation de services continuelle ou habituelle. C’est la même technique qu’adopte le Code du travail portugais qui indique que la survenance de ce comportement peut avoir lieu pendant la formation professionnelle, lors de l’accès à l’emploi ou pendant le travail. De même, en Belgique et – en l'état du droit – en France, en application de l’article L. 1153-1 du Code du travail et de l’article 6ter du titre premier du statut général des fonctionnaires, la victime devra, pour bénéficier du régime de protection prévue, montrer que les agissements qu’elle a subis l’ont été dans un cadre professionnel.Certains Etats, comme la Suède, ont élargi le champ d’application de cette notion et retiennent que "tout type de discrimination" (donc y compris celle subie dans un contexte privé et extra-professionnel) résultant d’agissements de harcèlement sexuel peut être poursuivi. Cette conception élargie était aussi celle du droit français avant l'abrogation de l'article 222-33 du Code pénal.
Une relative unité des législations concernant les buts et effets du harcèlement
D'une manière générale, les législations européennes ne prévoient pas qu'un but à ces agissements ait à être identifié, pour que la qualification de harcèlement sexuel soit retenue. Seuls quelques rares Etats, notamment l'Espagne, la France et les Pays-Bas, prévoient que le comportement du harceleur doive avoir pour objet d'obtenir des faveurs sexuelles.
Une certaine homogénéité existe, s'agissant des effets de ces agissements.
S'inspirant de la définition du harcèlement sexuel notamment posée par la directive 2002/73/CE, les Etats européens analysent quasiment tous le harcèlement comme une forme de discrimination ; il est vu comme l'entreprise qui soit porte atteinte à la dignité d'une personne, soit crée un environnement hostile, intimidant, humiliant, dégradant ou offensant.
Sur ce point, il est intéressant de noter que certains droits distinguent le harcèlement sexuel du harcèlement en raison du sexe qui est par exemple, pour le droit suédois, "tout comportement dans la vie professionnelle qui porte atteinte à la dignité de toute personne qui recherche du travail ou est employée et qui est en relation avec le sexe de celle-ci".
Une large uniformité s’agissant de l’élément intentionnel du harcèlement sexuel et de la prise en compte du comportement de la victime
Dans les années 1990, la quasi-intégralité des textes relatifs au harcèlement sexuel en Europe indiquait que le comportement de l'auteur devait revêtir, d'une part, un caractère intentionnel (l'auteur devait, par exemple, en Belgique ou en Allemagne, avoir su que ses agissements étaient interdits) et, d'autre part, avoir été "non désiré" par la victime (celle-ci devait montrer qu'elle avait exprimé son refus).
S'inspirant de la directive 2002/73/CE et de la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 qui ne reprend pas le caractère intentionnel, les différentes législations européennes ont évolué en sorte de faire disparaître, dans le contrôle du juge, la prise en compte de cet élément psychologique.
Le comportement de la victime est, comme c'est le cas dans la définition posée par la directive, quant à lui, pris en compte par de très nombreuses législations. Cependant, certains ordres juridiques, notamment en droit espagnol et en droit suédois, ont fait disparaître la référence au caractère non désiré de l'agissement et ont ainsi exclu que la question du consentement de la victime soit un élément de débat.
En France, un projet de loi relativement novateur
Il est peut-être trop tôt pour comparer les législations existantes avec le projet de loi relatif au harcèlement sexuel qui vient tout juste d'être adopté par le sénat et qui sera discuté la semaine prochaine à l'Assemblée nationale.
Si l'on remarque que le projet de loi ne s'éloigne qu'assez peu du cadre posé par les directives communautaires, certains aspects de ce texte étonnent.
D’abord, le projet de loi introduit au I de l'article 222-33 du Code pénal – texte qui définira l'incrimination du harcèlement sexuel –le principe selon lequel les agissements doivent être "répétés" pour être identifiés comme participant d'un harcèlement sexuel. Or, cette condition de la répétition n'est pas posée dans les directives européennes pour lesquels un seul acte peut caractériser l'existence d'un harcèlement sexuel. D'ailleurs, aucune des législations européennes n'évoque la nécessité que les actes soient répétés. Cette règle sera semble-t-il tempérée par le fait que par dérogation, certains agissements pourront être assimilés au harcèlement sexuel, même en l'absence de répétition. C'est, selon le futur II de l'article 222-33 du Code pénal, le cas lorsque l'auteur "use d'ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave, dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle".
On notera ensuite, avec satisfaction cette fois-ci, que le projet de loi a maintenu l'idée d'une protection la plus large possible pour la victime de harcèlement sexuel. Concrètement, alors que plusieurs législations ne protègent la victime de harcèlement sexuel que dans un cadre professionnel, le droit qui sera applicable visera toutes les hypothèses, y compris les cas de harcèlement vécus dans un cadre privé.
Enfin, le projet de loi procède à un toilettage général de l'ensemble des voies de droit censées garantir une protection effective des victimes de harcèlement sexuel. Il cherche une harmonisation des dispositions contenues dans le Code pénal, dans le Code du travail et dans le titre Ier du statut général des fonctionnaires. On regrettera vivement, cela dit, que le texte n'aille pas assez loin dans la définition des mécanismes de protection des victimes de harcèlement sexuel (à cet égard, les dispositions prévues pour les fonctionnaires restent, dans le projet de loi, extrêmement pauvres).
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